Pratique du monochrome, une forme de transition

Le monochrome tient sa place notamment dans les avant-gardes des années 1920, mais aussi dans diverses biographies d’artistes comme Picabia signant la fin d’une vie et bien sûr –alors à l’inverse, comme principe de vie chez Yves Klein. Dans mon travail, la pratique du monochrome rapproche de la vie par la couleur. La couleur est un medium populaire par excellence du fait de son accessibilité universelle, comme le folklore l’est pour la musique de notre temps. Mais, c’est aussi par cette étape que mon travail bifurque vers une abstraction définitive de l’objet représenté, au profit d’une expression plastique où la couleur pigmentaire et primaire du monochrome propose une expression d’unité entre la forme et l’espace. Une représentation ainsi recréée dans cette relation réflexive sur l’espace et sa couleur. Le monochrome n’est donc pas une fin de l’art (version « avant-garde »), ni une fin d’existence, mais une transition réflexive dans la pratique de l’art comme proposition d’un espace physique concret. Le monochrome trouve ainsi de nouveau, de mon point de vue, une place contemporaine dans le débat d’aujourd’hui entre espace, objet et image.

L’espace comme lieu de travail

La transition du monochrome comme pure abstraction de la représentation débouche sur le dépassement de l’intériorité, C’est une façon de repousser les limites d’un objet, le tableau, dans lequel l’artiste fixe un transfert psychique. Dans ce dépassement, le support devient l’intermédiaire en simple témoin de la relation entre l’objet regardé et son espace. L’espace de l’œuvre devient tout aussi important en déplaçant le sens à la pratique de l’art dans une ouverture à l’espace concret de l’altérité (l’art concret Théo van Doesbourg / Goettfried Honegger) -prenant le pas sur le domaine des objets.
Au cours des années 2000, s’impose l’idée de « chantiers » comme une métaphore de la relation de sujet en travail dans le champ esthétique.
Nouer l’espace intime et l’espace civil, l’évènement et le familier.
En parallèle d’interventions en galeries, des maisons vides, en chantier, servent de lieux de rencontre. Des pièces plus ou moins élaborées, des installations, sont mises en œuvre.
Une transformation de l’espace en objet plastique relationnel (un « art de la rencontre » Lee Ufan*), se propose comme des jalons d’expériences contemporaines.

Les techniques au service de la vitesse de réalisation

Dès l’engagement de mes travaux au début des années 1980, le refus d’un artiste statutaire et son insertion dans le système de l’art, m’ont orienté vers une pratique artistique qui tente de concilier une pluralité des temps et des méthodes formelles agissantes dans le domaine de l’art visuel. Tenue à équivalence d’une plastique de formes simples, l’idée est de s’exprimer par des formats imposants qui occupent l’espace et donc sont peu réductibles à l’objet d’art d’appartement.
Je développe des pratiques de faible intensité technique et à forte vitesse d’exécution, permettant à la fois de rendre ces pratiques accessibles au sentiment d’espace comme lieu (Augustin Berque) et rendant compatibles ma pratique artistique avec d’autres moments de ma vie sociale et familiale, pensée comme fait contemporain d’un art vivant, libre et non systématique. Ces partis-pris techniques, réduits dans leurs moyens -mais non réducteurs, ont porté sur la production de papiers peints, sur le brasage de plaques de métal et le recours à du traçage au graphite tout en poursuivant le principe du monochrome bleu. Plusieurs voyages au Japon entre 2006 et 2013 ont enrichi cette présence de l’art dans la vie saisie comme espace continu et discontinu et discipline de vie.

* Pour consulter le site de Lee Ufan : http://www.studioleeufan.org/main/